Comment parler de la mort avec son enfant

5 janvier 2023
par Joanne Ashtamkar

Il ne fait jamais nuit là où l’on s’aime.

Proverbe Africain

« Maman, ne meurs pas! »

Je me rappelle, petite, avoir été moi aussi terrorisée par l’idée que ma maman meurt, m’abandonnant à mon sort, me donnant un avant goût de vide semblant alors impossible à combler.

Lorsque mon fils avait 10 ans, une nouvelle forme de conscience avait soudainement placé la mort au coeur de ses préoccupations. Nous avons un soir longuement échangé à propos de cette peur qui s’accentuait au moment de se coucher. Cet instant avait été si beau que je l’avais « consigné » en l’écrivant. J’ai envie de vous le partager.

« Promets moi que tu ne mourras pas ». Il semble sincèrement en souffrance à l’idée de me perdre. Il verbalise clairement la peur de se perdre lui-même s’il me perd.

Je lui explique qu’en même temps qu’il grandit, je l’accompagne et l’aide à se préparer, à se fortifier, à créer de la place pour d’autres personnes autour de lui. Ces personnes deviendront à leur tour une source nourrissante qui lui permettront de faire face, au moment voulu, à ma disparition physique. J’ajoute qu’en grandissant on se découvre des ressources intérieures inimaginables qui nous inspirent et nous guident pour surmonter la perte de ceux que nous aimons le plus au monde.

Il me répond : « je n’ai pas envie de me préparer à être prêt, être prêt c’est accepter de vivre sans toi. Je ne le veux pas. »

Ses mots me touchent tellement. Je lui dis alors que bien sur, aujourd’hui, il n’a aucune raison d’accepter l’idée de notre séparation. Pourtant, sans le savoir, une force nous habite tous dès notre naissance, elle grandit avec nous et nous sert sitôt que notre coeur la réclame ; cette force s’appelle la résilience. Je le rassure aussi en lui expliquant qu’il est encore petit pour maîtriser cet « art de vivre », mais qu’il est en chemin, à mes côtés, et lorsque nos routes se sépareront, il n’aura qu’à penser très fort à moi pour avoir accès à son réservoir de force invisible. Qu’ensemble nous y arriverons, parce qu’il y a des liens si puissants, comme celui d’une mère et son enfant, que rien ne peut défaire. Ni la distance, ni la mort ne peut empêcher la présence de l’un pour l’autre. L’amour est une énergie plus forte que tout.

Il rebondit en me demandant de lui expliquer ce qu’est la résilience…

Je lui réponds que c’est un outil que tout être humain possède dans son kit de survie invisible, et que, lors de chaque expérience, triste, douloureuse, ou aussi insurmontable qu’elle puisse sembler, la résilience se présente à nous comme une petite lumière. Elle est parfois minuscule mais si tu décides de la suivre elle te guide et te permet de trouver ton chemin, de penser tes blessures et d’écouter ton coeur qui toujours te murmure un message positif. La résilience c’est choisir cette lumière, accepter ce qui ne peut être autrement et utiliser l’amour qu’on a pour soi et pour ceux qu’on aime comme moteur pour nous sortir de la grotte noire dans laquelle on se retrouve parfois perdu.

Je lui demande si tout ça lui parle, puis je le sers encore plus fort contre moi avant de continuer ainsi :

« Toi tu as peur que ta maman meurt, je te comprends, je vivais la même chose quand j’étais petite. Sache que moi j’ai peur que toi, mon enfant, tu puisses t’en aller avant moi. Je me souviens que ma maman m’avait dit un jour, lorsque tu étais dans mon ventre, que devenir maman est le cadeau le plus beau que l’on puisse se faire, mais que c’est aussi un gage que l’on fait à son bonheur.

Il ne comprend pas. Je crois que je n’avais pas tout de suite saisi, moi non plus, les propos de ma mère ce jour là. Je lui explique alors, en d’autres termes :

« S’occuper de soi, de son propre bonheur en tant qu’adulte sans enfant est déjà une mission risquée, à plein temps et de haute importance. Mais lorsqu’on accueille son enfant, notre bonheur devient lié à son bonheur. Si notre enfant est triste, malade ou qu’il lui arrive des soucis, même si nous, parents, nous allons bien, notre bonheur ne peut être complet, car une partie de nous ressent et vit avec son enfant chacune de ses peines et douleurs. Et si l’inimaginable se produit, qu’un parent perd son enfant, c’est, j’imagine, une part de soi qui s’en va. Mais à en croire d’incroyables histoires, il est possible de vivre malgré les peines les plus terribles qu’un être humain ait à supporter, même après la perte de son enfant, ou la mort de sa maman. Et il arrive même que des personnes très courageuses se mettent à réaliser de grandes et belles choses pour le monde après qu’ils aient perdu ce qu’ils chérissaient le plus et donnait du sens à leur existence. Ce qu’ils se mettent alors à entreprendre devient ce qui leur donne la force de vivre, malgré les parts de vide qui les habitent.

« Et si le vide prend plus de place que le plein ? » me demande-t-il .

« Lorsqu’on est très triste, le vide semble s’installer partout autour et à l’intérieur de nous. Mais l’espace à combler est illimité, alors avec son réservoir personnel de force, de courage et de résilience, on peut semer de la lumière partout où le vide ne s’est pas encore installé. Et avec le temps, on peut même jeter de la poussière de lumière dans les espaces de vide, parfois quelque chose peut renaître de ces espaces, comme si tu y avais semé de l’engrais… »

« Comme qui ? Tu connais quelqu’un qui a fait ça ? » m’interroge-t-il, curieux.

« Je connais des gens très courageux qui chaque jour se lèvent malgré des cicatrices qui leur font encore mal, mais ils ont décidé de prendre soin de la partie de leur corps et de leur esprit qui n’est pas abîmée. J’ai aussi entendu parler de personnes admirables qui ont surmonté des douleurs terribles après avoir perdu quelqu’un qu’ils aimaient comme nous nous aimons. Certains ont écrit des livres ou des témoignages en hommage à la personne qu’ils ont perdue, d’autres ont créé des associations pour venir en aide à d’autres personnes qui vivent la même tragédie qu’eux, ou pour empêcher que cela se produise pour d’autres. Ces actions leur permettent de dépasser leur tristesse, de donner un autre sens à leur existence et à leur chagrin.

Je poursuis ainsi :

« Tu comprends maintenant que je ne peux pas te faire une promesse concernant quelque chose qui dépasse ma volonté et mes capacités. La mort est comme la météo, elle est imprévisible et nul ne peut rien y changer. Me demander de te promettre de ne pas mourir serait te mentir, c’est comme si tu me demandais de te promettre qu’il fasse trente degrés demain malgré la période hivernale que nous vivons. Mais à nouveau, si tu ressens le besoin d’avoir chaud en plein hiver, tu peux trouver différentes manières de ressentir de la chaleur sans avoir besoin d’une météo clémente. 

Être en lien avec celles et ceux que l’on aime est, pour moi, quelque chose de bien plus grand qu’une simple question de proximité, de chair et d’os. Et j’aime croire que ce lien est bien plus extensible que ce que notre connaissance nous limite à croire.

Je te promets cependant de ne jamais cesser de vivre en toi, telle de petites empreintes indélébiles déposées ici et là qui te reconnecteront toujours à nos rires, à notre complicité, à notre tendresse et à tout ce qu’ensemble nous devenions. 

Puis je lui rappelle que lorsque nos chemins se sépareront, il aura le droit de célébrer la vie, de distribuer son amour et sa lumière à tous ceux qu’il continuera à aimer sans craindre de trahir notre amour, puisqu’il est intouchable et éternel. 

Je termine en lui racontant une fois encore notre petit conte indien « La mère », qu’il aime et comprends avec son coeur d’enfant, qu’il analyse en essayant sans cesse de décrypter les multiples facettes et possibilités du monde qui l’entoure, avec son ouverture élastique et son insatiable curiosité.

Coup de coeur Sanjaya

La Mère

Contes des sages de l’Inde, par Martine Quentric-Séguy

Le Bouddha la vit arriver, son enfant mort sur les bras. Elle était pâle, ses yeux s’étaient creusés, vidés de larmes. Toute l’eau de son corps avait coulé là, usant la couleur de l’iris, creusant des sillons dans la chair des joues.

Elle marchait, aveugle au monde, décidée à trouver de l’aide, quel qu’en soit le prix à payer, pour ressusciter son enfant. Une violence contenue l’habitait, une décision implacable, un courage surhumain. Elle vint à lui, et d’un geste étonnamment doux, comme si elle craignait de troubler le sommeil de ce fils qu’elle voulait réveiller, le déposa sur ses genoux.

Sa voix s’éleva impérieuse et implorante, confiante mais brisée :

– Sauve-le, je sais que tu le peux si tu le veux !

Le Bouddha les regardait avec compassion ; la mère déchirée, l’enfant mort.

Elle insista :

-Sauve-le !

Il hocha la tête et lui dit :

-Trouve une maison où la mort n’a jamais frappé. Demande une poignée de riz. Dès que tu l’auras dans la main, ton enfant revivra.

Elle partit en courant vers le premier village, riant, pleurant, tout à la fois. Elle revivrait, bientôt, avec son fils.

Elle frappa à la porte de la première maison. Une vieille dame vint ouvrir.

– Une poignée de riz, pour sauver mon enfant !

– Prends, femme, et sois en paix !

Elle prit le riz, allait repartir en courant, mais s’assura :

– Il n’y a jamais eu de mort chez vous, n’est-ce pas ?

La vieille sourit gentiment et répondit :

– À mon âge j’ai tant perdu d’êtres chers que mes morts sont plus nombreux que mes vivants !

La mère arrêta sa course, lui restitua son riz.

– Merci du fond du coeur, dit-elle. Le riz qui sauvera mon enfant doit provenir d’une maison vierge, où aucun défunt n’a jamais séjourné.

La vieille hocha la tête, son regard exprimait une tristesse ainsi qu’une profonde compassion. Elle bénit la mère.

– Ne t’arrête pas dans ce village. Ici toutes les maisons ont connu la mort. Je crains que ta route ne soit longue. Va et garde ce riz, il te nourrira en chemin.

La mère repartit jusqu’au village prochain. Un enfant l’accueillit au seuil d’une masure. Il était seul, sa mère venait de mourir. Elle s’en alla plus loin dans la rue. L’homme qui l’accueillit avait perdu sa femme. Au troisième seuil: 

– S’il vous plaît, une poignée de riz pour sauver mon enfant, si la mort n’a jamais frappé ici.

Mais ceux qui vivaient là avaient perdu leurs parents, leurs ancêtres. Elle frappa à toutes les portes, mais partout la mort avait frappé avant elle, partout les morts étaient plus nombreux que les vivants. Elle alla ainsi de villages en villages. Partout la mort était venue avant elle. Alors elle revint vers le Bouddha, reprit son enfant des genoux du Seigneur de Compassion.

– Tout ce qui vient s’en va. Je le sais maintenant, dit-elle.

Elle baissa la tête.

-Je n’ai pas su jouir de chaque instant qui m’a été donné. Je croyais le bonheur aussi naturel que la vie.

Comme elle se détournai, son enfant sur les bras, la révolte à nouveau gronda dans son esprit.

«  Certes, tout ce qui vient s’en va, se dit-elle, mais pourquoi si tôt ? Cet enfant ne pouvait-il pas grandir ? Pourquoi l’avoir privé d’un juste temps de vie ? Quel mal avait-il fait ? »

Elle revint vers le Bouddha, protesta :

– Pourquoi si jeune ?

– Il fut une homme juste et bon dans sa vie précédente. Il commit pourtant une erreur. Il n’est revenu en ce monde que pour épurer ce faux pas. La souffrance de l’enfant a suffit pour rétablir cet âme dans la pureté de l’Être. Tout karma résorbé, le corps, n’ayant plus rien à accomplir, a été abandonné.

– Et ma souffrance, elle ne compte pas , elle ne crée pas de karma négatif ?

Elle secoua la tête, renifla ses larmes. Elle reniait obstinément l’évidence, refusant d’accepter l’innommable douleur qui ravageait son coeur. Retrouvant sa combativité, elle posa une fois encore le corps froid et raide sur les genoux du Bouddha :

– Rends-le moi, tu le peux !

– Tel qu’il est maintenant, il va vers l’Être. S’il revient ici, il risque d’accumuler un nouveau karma. Il lui faudra assumer plusieurs vies en ce monde de douleur avant de retrouver sa liberté. Songe combien la vie humaine est précieuse en cet univers. Elle seule permet de marcher consciemment vers l’état de Bouddha. Naître en tant qu’humain est aussi rare qu’il est difficile à une tortue de mer, ignorante de l’exploit attendu, de surgir en passant son cou dans un anneau ballotté par la tempête à la surface des vagues. Dois-je le réveiller ? Dois-je lui dire de revenir pour apaiser la souffrance de sa mère ?

L’enfant alors ouvrit la bouche :

– Ma mère ? Dit-il. Quelle mère ? Depuis la nuit des temps j’en ai eu des milliers : des tigresses, des bufflonnes, des biches, des démones, des déesses, des cobras, des vautours, des femmes. De quelle mère parles-tu ? Quelle mère dois-je rejoindre et consoler ? Pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ?

Un long silence lui répondit.

La mère pâlit, se redressa, déterminée. Un léger sourire vint dénouer le masque douloureux, une tendresse profonde plissa doucement les ridules autour des yeux fatigués. Elle posa la main droite sur le corps de l’enfant, bénit simplement son départ :

– Sans peur ni désir, sois en paix, lui dit-elle. Rejoins l’Être que tu es.

Namaste.

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